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Jean-Christophe

Régulus n’était pas, — Dieu sait pourquoi ? — quelqu’un qu’il avait vu à l’église, dimanche passé. Mais son cœur et celui du vieux se dilataient de joie et d’orgueil au récit des actes héroïques, comme si c’étaient eux-mêmes qui les avaient accomplis : car le vieux et l’enfant étaient aussi enfants l’un que l’autre.

Christophe était moins heureux, quand grand-père plaçait au moment pathétique un de ses discours rentrés qui lui tenaient tant à cœur. C’étaient des considérations morales, pouvant se ramener d’ordinaire à une pensée honnête, mais un peu connue, telle que : « Mieux vaut douceur que violence », — ou : « L’honneur est plus cher que la vie », — ou : « Il vaut mieux être bon que méchant » : — seulement, elles étaient beaucoup plus embrouillées. Grand-père ne redoutait pas la critique de son jeune public, et il s’abandonnait à son emphase ordinaire ; il ne craignait pas de répéter les mêmes termes, de ne pas finir ses phrases, ou même, quand il était perdu au milieu de son discours, de dire tout ce qui lui passait par la tête, pour boucher les trous de sa pensée ; et il ponctuait ses mots, afin de leur donner plus de force, par des gestes à contresens. Le petit écoutait avec un profond respect ; et il pensait que grand-père était très éloquent, mais un peu ennuyeux.

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