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Certains jours, il profite de ce que sa mère a le dos tourné, pour sortir de la maison. D’abord, on court après lui, on le rattrape. Puis on s’habitue à le laisser aller seul, pourvu qu’il ne s’éloigne pas trop. La maison est au bout du pays ; la campagne commence presque aussitôt après. Tant qu’il est en vue des fenêtres, il marche sans s’arrêter, d’un petit pas posé, en sautillant sur un pied, de temps à autre. Mais dès qu’il a dépassé le coude du chemin, et que les buissons le cachent aux regards, il change brusquement. Il commence par s’arrêter, le doigt dans la bouche, pour savoir quelle histoire il se racontera aujourd’hui ; car il en est tout plein. Il est vrai qu’elles se ressemblent toutes, et que chacune pourrait tenir en trois ou quatre lignes. Il choisit. D’habitude, il reprend la même, tantôt au point où il l’a laissée, la veille, tantôt depuis le commencement, avec des variantes ; mais il suffit d’un rien, d’un mot entendu par hasard, pour que sa pensée coure sur une piste nouvelle.

Le hasard était fertile en ressources. On n’ima-

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