Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Les mois passent… Des îles de mémoire commencent à surgir du fleuve de la vie. Ce sont d’abord d’étroits îlots perdus, des rochers qui affleurent à la surface des eaux. Autour d’eux, après eux, dans le demi-jour qui point, la grande nappe tranquille continue de s’étendre. Puis de nouveaux îlots, que dore le soleil.

Ainsi émergent de l’abîme de l’âme certaines formes, certaines scènes d’une étrange netteté. Dans le jour sans bornes, qui recommence, éternellement le même, avec son balancement monotone et puissant, commence à se dessiner la ronde des jours qui se donnent la main, et leurs profils, les uns riants, les autres tristes. Mais les anneaux de la chaîne se rompent constamment, et les souvenirs se rejoignent par-dessus la tête des semaines et des mois…

Le Fleuve… Les Cloches… Si loin qu’il se souvienne, — dans les lointains du temps, à quelque heure de sa vie que ce soit, — toujours leurs voix profondes et familières chantent…

23