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Jean-Christophe

l’enfant ; et la nuit ne l’empêchait pas de lire dans ses traits vieillots. Le sommeil la gagnait, des images fiévreuses passaient dans son cerveau. Elle crut entendre Melchior ouvrir la porte, et son cœur tressauta. Par instants, le grondement du fleuve montait plus fort dans le silence, comme un mugissement de bête. La vitre sonna une ou deux fois encore sous le doigt de la pluie. Les cloches, plus lentement, chantèrent et s’éteignirent ; et Louisa s’endormit auprès de son enfant.

Pendant ce temps, le vieux Jean-Michel attendait devant la maison, grelottant de pluie, la barbe mouillée de brouillard. Il attendait que son misérable fils revînt ; car sa tête, qui travaillait toujours, ne cessait de lui raconter des histoires tragiques, amenées par l’ivresse ; et, bien qu’il n’y crût pas, il n’aurait pu dormir une minute, cette nuit, s’il s’en était allé sans l’avoir vu rentrer. Le chant des cloches le rendait très triste ; car il se rappelait ses espérances déçues. Il pensait à ce qu’il faisait là, à cette heure, dans la rue ; et de honte, il pleurait.