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Jean-Christophe

son père, la princesse, le monde entier, dans son mépris. Il fut blessé aussi de ce que les voisins venaient féliciter ses parents et rire avec eux, comme si c’étaient ses parents qui avaient joué les morceaux, et comme s’il était leur chose, à tous.

Sur ces entrefaites, un domestique de la cour vint apporter de la part du grand-duc une belle montre en or, et de la part de la jeune princesse une boîte d’excellents bonbons. L’un et l’autre cadeau faisaient grand plaisir à Christophe ; et il ne savait trop lequel lui en faisait le plus ; mais il était de si méchante humeur qu’il n’en voulait pas convenir, vis-à-vis de lui-même ; et il continuait de bouder, louchant vers les bonbons, et se demandant s’il conviendrait d’accepter les dons d’une personne qui avait trahi sa confiance. Comme il était sur le point de céder, son père voulut qu’il se mît sur-le-champ à la table de travail, et qu’il écrivît sous sa dictée une lettre de remerciements. C’était trop, à la fin ! Soit énervement de la journée, soit honte instinctive de commencer sa lettre, comme le voulait Melchior, par ces mots :

« Le petit valet et musicien, — Knecht und Musicus, — de Votre Altesse… »,

il fondit en larmes, et l’on n’en put rien tirer. Le domestique attendait, goguenard. Melchior dut écrire la lettre. Cela ne le rendit pas plus indulgent

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