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Jean-Christophe

trée de la loge, grand-père, rayonnant et honteux, qui aurait bien voulu se montrer et dire aussi son mot, mais qui n’osait, parce qu’on ne lui avait pas adressé la parole : il jouissait de loin de la gloire de son petit-fils. Christophe eut un élan de tendresse, un besoin irrésistible qu’on rendît aussi justice au pauvre vieux, qu’on sût ce qu’il valait. Sa langue se délia ; il se haussa à l’oreille de sa nouvelle amie, et lui chuchota :

— Je veux vous dire un secret.

Elle rit, et demanda :

— Lequel ?

— Vous savez, continua-t-il, le joli trio qu’il y a dans mon minuetto, le minuetto que j’ai joué ?… Vous savez bien ?… — (Il le chantonna tout bas.) — … Eh bien ! c’est grand-père qui l’a fait, ce n’est pas moi. Tous les autres airs sont de moi. Mais celui-là, il est le plus joli. Il est de grand-père. Grand-père ne veut pas qu’on le dise. Vous ne le répéterez pas ?…

— (Et, montrant le vieux) : Voilà grand-père. Je l’aime bien. Il est très bon pour moi.

Là-dessus, la jeune princesse rit de plus belle, cria qu’il était un mignon, le couvrit de baisers, et à la consternation de Christophe et de grand-père, elle raconta la chose à tous. Tous s’associèrent à son rire ; et le grand-duc félicita le vieux, tout confus, qui essayait vainement de s’expliquer, et balbu-

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