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l’aube

Dans le salon de la loge princière, il fut mis en présence d’un monsieur en veston, à figure de doguin, avec des moustaches hérissées, et une barbe courte et pointue, petit, rouge, un peu obèse, qui l’apostropha avec une familiarité goguenarde, lui tapota les joues avec ses mains grasses, et l’appela : « Mozart redivivus ! ». C’était le grand-duc. — Ensuite, il passa par les mains de la grande-duchesse, de sa fille, et de leur suite. Mais comme il n’osait pas lever les yeux, le seul souvenir qu’il garda de cette brillante assistance, fut celui d’une série de robes et d’uniformes, vus de la ceinture aux pieds. Assis sur les genoux de la jeune princesse, il n’osait ni remuer, ni souffler. Elle lui posait des questions, auxquelles Melchior répondait, d’une voix obséquieuse, avec des formules d’un respect aplati ; mais elle n’écoutait pas Melchior, et taquinait le petit. Il se sentait rougir de plus en plus ; et pensant que chacun remarquait sa rougeur, il voulut l’expliquer, et dit, avec un gros soupir :

— Je suis rouge, j’ai chaud.

Ce qui fit pousser des éclats de rire à la jeune fille. Mais Christophe ne lui en voulut pas, comme il en voulait au public de tout à l’heure ; car ce rire était agréable ; et elle l’embrassa : ce qui ne lui déplut point.

À ce moment il aperçut dans le corridor, à l’en-

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