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Jean-Christophe

sur son chemin. Plus il courait, plus on riait ; et plus on riait, plus il courait.

Enfin il arriva à la sortie de la scène, encombrée par les gens qui regardaient, se fraya un passage au travers, à coups de tête, et courut se cacher tout au fond du foyer. Grand-père exultait, et le couvrait de bénédictions. Les musiciens de l’orchestre éclataient de rire, et félicitaient le petit, qui refusait de les regarder et de leur donner la main. Melchior, l’oreille aux aguets, évaluait les acclamations qui ne s’arrêtaient point, et voulait ramener Christophe sur la scène. Mais l’enfant s’y refusa avec rage, s’accrochant à la redingote de grand-père, et lançant des coups de pieds à tous ceux qui l’approchaient. Il finit par avoir une crise de larmes, et on dut le laisser.

Juste à ce moment, un officier venait dire que le grand-duc demandait les artistes dans sa loge. Comment montrer l’enfant dans un état pareil ? Melchior sacrait de colère ; et son emportement ne faisait que redoubler les pleurs de Christophe. Pour mettre fin au déluge, grand-père promit une livre de chocolats, si Christophe se taisait ; et Christophe, qui était gourmand, s’arrêta net, ravala ses larmes, et se laissa emporter ; mais il fallut lui jurer d’abord de la façon la plus solennelle qu’on ne je mènerait pas, par surprise, sur la scène.

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