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l’aube

Jean-Michel continua d’une voix plus sourde, avec des éclats de colère :

— Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir cet ivrogne pour fils ? C’est bien la peine d’avoir vécu comme j’ai vécu, de m’être privé de tout, toute ma vie ! — Mais toi, toi, tu n’es donc pas capable de l’empêcher ? Car enfin, sacrebleu ! c’est ton rôle. Si tu le retenais au logis !…

Louisa pleurait plus fort.

— Ne me grondez pas encore, je suis déjà si malheureuse ! J’ai fait tout ce que j’ai pu. Si vous saviez comme j’ai peur, quand je suis seule ! Il me semble que j’entends toujours son pas dans l’escalier. Alors j’attends que la porte s’ouvre, et je me demande : Mon Dieu ! comment va-t-il paraître ?… Cela me rend malade d’y songer.

Elle était secouée par les sanglots. Le vieux s’inquiéta. Il vint près d’elle, ramena les couvertures défaites sur ses épaules qui tremblaient, et lui caressa la tête de sa grosse main.

— Allons, allons, n’aie pas peur, je suis là.

Elle s’apaisa à cause du petit, et essaya de sourire.

— J’ai eu tort de vous dire cela.

Le vieux la regarda en hochant la tête :

— Ma pauvre fille, ce n’est pas un joli cadeau que je t’ai fait là.

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