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Jean-Christophe

Il se tut un instant, méditant s’il ne conviendrait pas de développer cette pensée ; mais il ne trouva rien de plus à dire ; et, après un silence, il reprit d’un ton irrité :

— Comment se fait-il que ton mari ne soit pas ici ?

— Je crois qu’il est au théâtre, dit timidement Louisa. Il a répétition.

— Le théâtre est fermé. Je viens de passer devant. C’est encore un de ses mensonges.

— Non, ne l’accusez pas toujours ! J’aurai mal compris. Il doit être retenu par une de ses leçons.

— Il devrait être rentré, fit le vieux, mécontent. Il hésita un instant, puis demanda d’un ton plus bas, un peu honteux :

— Est-ce qu’il a… de nouveau ?…

— Non, père, non, père, dit précipitamment Louisa.

Le vieux la regarda ; elle évita son regard :

— Ce n’est pas vrai, tu mens.

Elle pleura silencieusement.

— Bon Dieu ! cria le vieillard, en donnant un coup de pied au foyer. Le tisonnier tomba bruyamment. La mère et l’enfant tressaillirent.

— Père, je vous en prie, dit Louisa, il va pleurer.

L’enfant hésita quelques secondes s’il devait crier ou continuer son repas ; mais ne pouvant faire l’un et l’autre à la fois, il se remit au dernier.

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