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l’aube

ment : primo, rédiger la demande officielle au prince ; — secundo, publier l’œuvre ; — tertio, organiser un concert, afin de la faire entendre.

Il y eut encore de longues conférences entre Melchior et Jean-Michel. Pendant deux ou trois soirs ils discutèrent avec animation. Il était défendu de venir les troubler. Melchior écrivait, raturait, raturait, écrivait. Le vieux parlait tout haut, comme s’il disait des vers. Parfois, ils se fâchaient, ou tapaient sur la table, parce qu’ils ne trouvaient pas un mot.

Puis, on appela Christophe, on l’installa devant la table, une plume entre les doigts, flanqué de son père à droite, à gauche de son grand-père ; et ce dernier commença à lui faire une dictée, à laquelle il ne comprit rien, parce qu’il avait une peine énorme à écrire chaque mot, parce que Melchior lui criait dans l’oreille, et parce que le vieux déclamait d’un ton si emphatique, que Christophe, troublé par le son des paroles, ne pensait même plus à en écouter le sens. Le vieux n’était pas moins ému. Il n’avait pu rester assis ; et il se promenait à travers la chambre, en mimant involontairement les expressions de son texte ; mais à tout instant, il venait regarder sur la page du petit ; et Christophe, intimidé par ces deux grosses têtes, penchées sur son dos, tirait la langue, ne pouvait plus tenir sa plume,

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