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l’aube

Il se mit à crier. Peut-être sentait-il d’instinct dans les yeux de sa mère une caresse qui l’engageait à se plaindre. Elle lui tendit les bras, et dit :

— Donnez-le-moi.

Le vieux commença par faire des théories, selon son habitude :

— On ne doit pas céder aux enfants, quand ils pleurent. Il faut les laisser crier.

Mais il vint, prit le petit, et grogna :

— Je n’en ai jamais vu d’aussi laid.

Louisa saisit l’enfant de ses mains fiévreuses, et le cacha contre son sein. Elle le contempla avec un sourire confus et ravi :

— Oh ! mon pauvre petit, dit-elle toute honteuse, que tu es laid, que tu es laid, comme je t’aime !

Jean-Michel retourna près du feu : il se mit à tisonner, d’un air grognon ; mais un sourire démentait la solennité maussade de son visage.

— Bonne fille, dit-il. Va, ne te tourmente pas, il a le temps de changer. Et puis, qu’est-ce que cela fait ? On ne lui demande qu’une chose, c’est de devenir un brave homme.

L’enfant s’était apaisé au contact du tiède corps maternel. On l’entendait téter avec un halètement goulu. Jean-Michel se renversa légèrement dans sa chaise, et répéta avec emphase :

— Il n’y a rien de plus beau qu’un honnête homme.

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