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Jean-Christophe

vagues, où la prunelle est un point tout petit, mais infiniment tendre.

L’enfant s’éveille et pleure. Son regard trouble s’agite. Hélas ! quelle épouvante ! Les ténèbres, l’éclat brutal de la lampe, les hallucinations d’un cerveau, à peine dégagé du chaos, la nuit étouffante et grouillante qui l’entoure, l’ombre sans fond d’où se détachent, comme des jets aveuglants de lumière, des sensations aiguës, des douleurs, des fantômes : ces figures énormes qui se penchent sur lui, ces yeux qui le pénètrent, qui s’enfoncent en lui, et qu’il ne comprend pas !… Il n’a pas la force de crier ; la terreur le cloue immobile, les yeux, la bouche ouverte, soufflant du fond de la gorge. Sa grosse tête boursouflée se plisse de grimaces lamentables et grotesques ; la peau de sa figure et de ses mains est brune, violacée, avec des taches jaunâtres…

— Bon Dieu ! qu’il est laid ! fit le vieux d’un ton convaincu.

Il alla reposer la lampe sur la table.

Louisa fit une moue de petite fille grondée. Jean-Michel la regarda du coin de l’œil, et rit.

— Tu ne voudrais pas que je te dise qu’il est beau ? Tu ne le croirais pas. Allons, ce n’est pas ta faute. Ils sont tous comme cela.

L’enfant sortit de l’immobilité stupide où le plongeaient la flamme de la lampe et le regard du vieux.

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