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Jean-Christophe

chent sur des pattes, où des derrières jouent de la trompette, et où des ustensiles de ménage et des cadavres de bêtes s’avancent gravement, enveloppés de grands draps, avec des révérences de vieilles dames. Christophe en avait horreur, et toujours y revenait, ramené par son dégoût. Il les regardait longuement, et jetait de temps en temps un œil furtif autour de lui, pour voir ce qui remuait dans les plis des rideaux. — Une image d’écorché dans un ouvrage d’anatomie lui était plus odieuse encore. Il tremblait de tourner la page, quand il approchait de l’endroit du livre où elle se trouvait. Ces informes bariolages avaient une intensité prodigieuse pour lui. La puissance de création, inhérente au cerveau des enfants, suppléait aux pauvretés de la mise en scène. Il ne voyait pas de différence entre ces barbouillages et la réalité. La nuit, ils agissaient plus fortement sur ses rêves, que les images vivantes aperçues dans le jour.

Il avait peur du sommeil. Pendant plusieurs années, les cauchemars empoisonnèrent son repos : — Il errait dans des caves, et il voyait entrer par le soupirail l’écorché grimaçant. — Il était dans une chambre, seul, et il entendait un frôlement de pas dans le corridor ; il se jetait sur la porte pour la fermer, il avait juste le temps d’en saisir la poignée ; mais on la tirait du dehors ; il ne pouvait

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