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sage… Mes compères, quand vous voulez savoir ce que vous possédez, vous commencez par aligner sur une page tous vos chiffres ; après, vous les additionnez. Pourquoi donc ne pas mettre au bout l’une de l’autre vos lubies ? Toutes ensemble font peut-être la vérité. La vérité vous fait la nique, quand vous voulez l’accaparer. Le monde, enfants, a plus d’une explication : car chacune n’explique qu’un côté de la question. Je suis pour tous vos dieux, les païens, les chrétiens, et pour le dieu raison, par-dessus le marché.

À ces mots, tous les deux s’unissant contre moi, courroucés, m’appelèrent pyrrhonien et athée.

— Athée ! que vous faut-il ? que voulez-vous de moi ? Votre Dieu ou vos dieux, votre loi ou vos lois veulent venir chez moi ? Qu’ils viennent ! Je les reçois. Je reçois tout le monde, je suis hospitalier. Le bon Dieu me plaît fort, et ses saints encore plus. Je les aime, les honore, et leur fais la risette ; et (ce sont bonnes gens) ils ne refusent pas de venir avec moi faire un bout de causette. Mais, pour vous parler franc, un seul Dieu, je l’avoue, je n’en ai pas assez. Qu’y faire ? je suis gourmand… on me met à la diète ! J’ai mes saints, j’ai mes saintes, mes fées et mes esprits, ceux de l’air, de la terre, des arbres et des eaux ; je crois à la raison ; je crois aussi aux fous, qui voient la vérité ; et je crois aux sorciers. J’aime bien à penser que la terre suspendue se balance dans les nues, et je voudrais toucher, démonter, remonter tous les beaux mécanismes de l’horloge du monde. Mais cela ne fait point que je n’aie du plaisir à