Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geurs. Ce fut une belle journée. Tout le long des remparts, la table était dressée. On y servit trois marcassins, rôtis entiers, et rembourrés d’un hachis épicé d’abats de sangliers et de foie de héron, des jambons parfumés, fumés dans l’âtre avec des branches de genévrier ; des pâtés de lièvre et de porc, embaumés d’ail et de laurier ; des andouillettes et des tripes ; des brochets et des escargots ; du gras-double, de noirs civets, qui, devant qu’on en eût tâté, vous grisaient par le nez ; et des têtes de veau qui fondaient sous la langue ; et des buissons ardents d’écrevisses poivrées, qui vous embrasaient le gosier ; et là-dessus, pour l’apaiser, des salades à l’échalote vinaigrées, et de fières lampées des crus de la Chapotte, de Mandre, de Vaufilloux ; et, pour dessert, le blanc caillé, frais, granuleux, qui s’écrasait entre la langue et le palais ; et des biscuits qui vous torchaient un verre plein comme une éponge, d’un seul coup.

Aucun de nous ne lâcha pied, tant qu’il resta de quoi bâfrer. Loué soit Dieu qui nous donna de pouvoir en si peu d’espace, dans le sac de notre estomac, empiler flacons et plats. Surtout la joute fut belle entre l’ermite Courte-Oreille de Saint-Martin-de-Vézelay, qui les Vézeliens escortait (ce grand observateur qui le premier, dit-on, nota qu’un âne ne peut braire s’il n’a la queue en l’air), et le nôtre (je ne dis âne), Dom Hennequin, qui prétendait qu’il avait dû jadis être carpe ou brochet, tant il avait dégoût de l’eau, pour en avoir trop bu sans doute, en l’autre vie. Bref, quand nous sortîmes de table,