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d’un honnête homme, à table, aux prises avec son broc !

On se sent plus léger, depuis qu’ils sont partis. Les voisins prudemment débloquent leurs cachettes. Ceux qui, les jours derniers, montraient des faces de carême, et geignaient de famine, comme s’ils eussent porté un loup dedans leur panse, sous la paille du grenier ou la terre du cellier, dénichent à présent de quoi nourrir la bête. Il n’est si gueux qui n’ait trouvé moyen, en gémissant très bien qu’il ne lui restait rien, de garder quelque part le meilleur de son vin. Moi-même (je ne sais comment cela se fit), l’hôte Fiacre Bolacre à peine était parti (je l’avais reconduit jusqu’au bout du faubourg de Judée) que je me rappelai, en me frappant le front, un petit fût de Chablis, oublié par mégarde sous le fumier des chevaux afin qu’il fût au chaud. J’en fus très contristé, ainsi qu’on peut le croire ; mais quand le mal est fait, il est fait et bien fait, faut s’en accommoder. Je m’en accommode bien. Bolacre, mon neveu, ah ! qu’avez-vous perdu ! quel nectar, quel bouquet !… Mais vous n’en perdrez rien, mon ami, mon ami, mais vous n’en perdrez rien : c’est à votre santé !

On s’en va voisiner d’une à l’autre maison. On se montre les trouvailles qu’on a faites en sa cave ; et, comme les augures, on se cligne de l’œil, en se congratulant. On se raconte aussi les dommages et les dams (les dames et leurs dommages). Ceux des voisins amusent et distraient des siens. On s’informe de la santé de la femme de Vincent Pluviaut. Après