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de l’an passé, et nul n’a encore vu celui qui t’a roulé… Innocent, tête folle ! Ardez le bel agneau !… Agneau de Chamoux, n’en faut que trois pour étrangler un loup…

Je ris, je ne réponds à madame bon bec. Elle a raison, l’enfant !… Elle a tort de le dire. Mais une femme ne cèle que ce qu’elle ne sait pas. Et elle me connaît, car c’est moi qui l’ai faite… Allons, Colas Breugnon, conviens-en, mon garçon : tu as beau faire des folies, tu ne seras jamais un fol tout à fait. Parbleu ! comme chacun, tu as un fol en ta manche, tu le montres quand tu veux ; mais tu l’y fais rentrer, quand il faut tes mains libres et tête saine pour ouvrer. Comme tous les Français, tu as en ta caboche si bien l’instinct de l’ordre et la raison ancrés que tu peux t’amuser à faire l’extravagant : il n’est de risques (pauvres niais !) que pour les gens qui te regardent bouche bée et voudraient t’imiter. De beaux discours, des vers ronflants, des projets tranche-montagne, sont chose détectable : on s’exalte, on prend feu. Mais nous ne consumons que notre margotin ; et nous gardons notre gros bois, bien rangé, dans notre bûcher. Ma fantaisie s’égaie et donne le spectacle à ma raison qui la regarde, assise confortablement. Tout est pour mon amusement. J’ai pour théâtre l’univers, et, sans bouger, de mon fauteuil, je suis la comédie ; j’applaudis Matamore ou bien Francatrippa ; je jouis des tournois et des pompes royales, je crie bis à ces gens qui se cassent la tête. C’est pour notre plaisir ! Afin de le doubler, je feins de me mêler à la farce