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serons heureux et forts. Étendez-vous, multipliez, et embrassez tout ce que vous pourrez de la terre et de la pensée. Chacun la sienne, et tous unis (allons, mes fils, embrassons-nous ! ) afin que le grand nez Breugnon sur les champs allonge son ombre et renifle la beauté du monde !

Ils se taisaient, l’air rechigné, pinçant les lèvres ; mais on voyait qu’ils avaient peine à ne pas rire. Et soudain Aimon-Michel, partant d’un grand éclat bruyant, tendit la main à Jean-François, en lui disant : « Allons, l’aîné des nez, bene ! Benêts, faisons la paix ! » Ils s’embrassèrent.

— Martine, holà ! À nos santés !

Je remarquai, à ce moment, que tout à l’heure, en ma colère, en frappant avec l’aiguière, je m’étais coupé le poignet. Un peu de sang tachait la table. Antoine, toujours solennel, levant ma main, posa dessous son verre, y recueillit le jus de ma veine vermeil, et dit pompeusement :

— Pour sceller notre alliance, buvons tous quatre dans ce verre !

— Or çà, or çà, je dis, Antoine, gâter le vin de Dieu ! Pfui ! tu me dégoûtes ! Jette cette mixture. Qui veut boire mon sang tout pur, qu’il boive sec et pur son piot.

Là-dessus nous pintâmes, et sur le goût du vin point nous ne disputâmes.

Comme ils étaient partis, Martine, en me pansant la main, me dit :

— Vieux scélérat, tu en es donc venu à tes fins, cette fois ?