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garde, ce n’est point beau. Ma bonne fille, que veux-tu ? Il ne faut se laisser oublier dans la vie. Qui se laisse oublier, on l’oublie. Retiens cette leçon.

— Je n’en ai pas besoin, dit-elle. Où que je sois, nul ne l’ignore.

— C’est vrai, on te voit bien, on t’entend mieux encore. Hors ce matin, que j’attendais ta querelle journalière. Pourquoi m’en as-tu privé ? Elle me manque. Viens me la faire.

Mais elle, sans tourner la tête, dit :

— Rien ne te fait. Et je me tais.

Je regardais sa figure obstinée, qui sa lèvre mordait, pour piquer son ourlet. Elle avait l’air triste et battue ; et ma victoire me pesait. Je dis :

— Viens m’embrasser, au moins. À défaut de Martin, je n’ai pas oublié Martine. C’est ta fête, allons, j’ai un cadeau pour toi. Viens le chercher.

Elle fronça le sourcil, et dit :

— Mauvais plaisant !

— Je ne plaisante pas, dis-je. Viens, viens donc, tu verras.

— Je n’ai pas le temps.

— Ô fille dénaturée, quoi, tu n’as pas le temps de venir m’embrasser ?

À regret, elle se leva ; méfiante, elle s’approcha :

— Quel tour de Villon, quelle farce vas-tu me faire encore ? Je lui tendis les bras.

— Allons, dis-je, baise-moi.

— Et le cadeau ? dit-elle.

— Tu l’as, tu l’as, c’est moi.