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tout glorieux, comme si ces écus t’étaient sortis des doigts ! S’ils en étaient sortis, tu serais un grand fou. Tu en es deux, pour trouver de la joie aux folies que les autres ont faites, et non pas toi. »

Je réponds : « Breugnon, tu parles d’or, tu as toujours raison. Cela n’empêche pas que je ne me ferais fesser pour ces billevesées, et que ces ombres décharnées depuis deux mille années n’aient plus de sang que les vivants, je les connais et je les aime. Pour qu’Alexandre pleure sur moi, comme sur Clytus, je consens de grand cœur, aussi, à ce qu’il me tue. J’ai la gorge serrée quand je vois, au sénat, César sous les poignards s’agitant aux abois, ainsi que la bête acculée entre les chiens et les veneurs. Je reste bouchée bée, quand passe Cléopâtre en sa barque dorée, avec ses Néréides appuyées aux cordages et ses beaux petits pages, nus comme des Amours ; et j’ouvre mon grand nez afin d’aspirer mieux la brise parfumée. Je pleure comme un veau, lorsque à la fin Antoine, sanglant, mourant, est ficelé, hissé par sa belle, penchée à la lucarne de sa tour, et qui tire de tout son corps (pourvu… il est si lourd !… qu’elle ne le laisse pas tomber ! ) le pauvre homme qui lui tend les bras…

Qu’est-ce donc qui m’émeut, et qui m’attache à eux, comme à une famille ? — Eh ! ils sont ma famille, ils sont moi, ils sont l’Homme.

Que je plains les pauvres déshérités qui ne connaissent point la volupté des livres ! Il en est qui font fi du passé, fièrement, s’en tenant au présent.