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un râble de fée, les corps roses et blonds, les corps bruns et dorés des nymphes de nos bois, dépouillés de leurs voiles, par la cognée tranchés ! Joie de la main exacte, des doigts intelligents, les gros doigts d’où l’on voit sortir la fragile œuvre d’art ! Joie de l’esprit qui commande aux forces de la terre, qui inscrit dans le bois, dans le fer ou la pierre, le caprice ordonné de sa noble fantaisie ! Je me sens le monarque d’un royaume de chimère. Mon champ me donne sa chair, et ma vigne son sang. Les esprits de la sève font croître, pour mon art, allongent, engraissent, étirent et polissent au tour les beaux membres des arbres que je vais caresser. Mes mains sont des ouvriers dociles que dirige mon maître compagnon, mon vieux cerveau, lequel m’étant soumis lui-même, organise le jeu qui plaît à ma rêverie. Qui jamais fut mieux servi que moi ? Oh ! quel beau petit roi ! Ai-je pas bien le droit de boire à ma santé ? Et n’oublions pas celle (je ne suis pas un ingrat) de mes braves sujets. Que béni soit le jour où je suis venu au monde ! Que de glorieuses choses sur la machine ronde, riantes à regarder, suaves à savourer ! Grand Dieu ! que la vie est bonne ! J’ai beau m’en empiffrer, j’ai toujours faim, j’en bave ; je dois être malade : à quelque heure du jour, l’eau me vient aux babines, devant la table mise de la terre et du soleil…

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Mais je me vante, compère : le soleil est défunt ;