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trinquant, et les femmes tels des cabris sautant… N’est-ce pas une merveille ? La reine Cléopâtre, Lamia, la flûtiste, et Statira si belle qu’on avait mal aux yeux, lorsqu’on la regardait, à la barbe d’Antoine, d’Alex ou d’Artaxerce, je les ai, s’il me plaît, j’en jouis, je les possède. J’entre dans Ecbatane, je bois avec Thaïs, je couche avec Roxane, j’emporte sur mon cou, dans un paquet de hardes, Cléopâtre emballée ; avec Antiochus, rougissant et rongé de fièvre pour Stratonice, je brûle pour ma belle-mère (la curieuse affaire ! ), j’extermine les Gaules, je viens, je vois, je vaincs, et (ce qui me plaît bien) le tout sans qu’il m’en coûte une goutte de sang.

Je suis riche. Chaque histoire est une caravelle, qui m’apporte des Indes ou bien de Barbarie les métaux précieux, les vieux vins dans les outres, les animaux bizarres, les esclaves capturés… les beaux drilles ! Quels poitrails ! quelles croupes !… c’est à moi, tout cela. Les Empires vécurent, grandirent et sont morts, pour mon amusement…

Quel carnaval est-ce là ? Il semble que je sois tour à tour tous ces masques. Je me coule en leur peau, je m’ajuste leurs membres, leurs passions ; et je danse. Je suis en même temps le maître de la danse, je mène la musique, je suis le bon Plutarque ; c’est moi, oui-dà, c’est moi qui ai mis par écrit (je fus bien inspiré, ce jour-là, n’est-ce pas ? ) ces petites drôleries… Qu’il est beau de sentir la musique des mots et la ronde des phrases vous emporter, dansant et riant dans l’espace, libre des liens du corps, des maux, de la vieillesse !… L’esprit, mais