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font ces Grecs et ces Romains ? Ils sont morts, ils sont morts, et nous sommes vivants. Que pourront-ils me raconter que je ne sache aussi bien qu’eux ? Que l’homme est un animal fort méchant, mais plaisant, que le vin gagne en vieillissant, la femme non, et qu’en tous les pays, les grands croquent les petits, et que les croquants croqués, que les petits se rient des grands ? Tous ces hâbleurs romains vous font de longs discours. J’aime bien l’éloquence ; mais je les préviens d’avance qu’ils ne parleront pas seuls ; je leur clorai le bec…

Là-dessus, je feuilletai le livre, d’un air condescendant, en laissant distraitement mes regards ennuyés tomber comme une ligne, au long de la rivière. Et dès le premier coup, je fus pris, mes amis… mes amis, quelle pêche !… Le bouchon ne flottait pas sur l’eau qu’il s’enfonçait, et je retirais de là quelles carpes, quels brochets ! Des poissons inconnus, d’or, d’argent, irisés, vêtus de pierreries et semant autour d’eux une pluie d’étincelles… Et qui vivaient, dansaient, qui se bandaient, sautaient, palpitaient des ouïes et battaient de la queue !… Moi, qui les croyais morts !… À partir de ce moment, le monde aurait pu crouler, je n’eusse rien remarqué ; je regardais ma ligne : ça mordait, ça mordait ! Quel monstre va sortir de l’onde, cette fois ?… Et vlan ! le beau poisson qui vole au bout du fil, avec son ventre blanc et sa cotte de mailles, verte comme un épi, ou bleue comme une prune, et luisant au soleil !… Les jours que j’ai passés là (