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bon argent (la pauvre bête avait couru à perdre haleine et roulait des yeux furieux), comme larrons en foire on était tous d’accord. On n’en jura pas moins, sacra, on se gourma : c’était dans notre rôle, on joua en conscience ; mais on avait grand mal à rester sérieux. Il n’aurait pas fallu pourtant faire durer la farce trop longtemps, car Calabre et les siens commençaient à jouer trop bien ; saint Nicolas, au bout de son bâton, devenait menaçant, et les cierges branlaient dans les poings, attirés par les dos des sergents. Alors le maire s’avança, enleva son bonnet de sa tête, et cria :

— Chapeau bas !

Au même instant, tomba le rideau qui couvrait la Statue sous le dais, et les huissiers de ville crièrent :

— Place au duc !

Le vacarme cessa soudain. Saint Nicolas, saint Éloi, saint Vincent, saint Joseph et sainte Anne, saint Honoré, saint Fiacre, des deux côtés rangés, présentèrent les armes ; les sergents de police et le gros capitaine, éperdu, tête nue, cédèrent le passage ; et l’on vit s’avancer, en se dodelinant au-dessus des porteurs, couronné de lauriers, la toque sur l’oreille et l’épée sur le ventre, le duc en effigie. L’inscription du moins de maître Delavau le proclamait urbi et orbi ; mais, pour dire le vrai, et le bon de la chose, c’est que, n’ayant le temps ni les moyens de faire un portrait ressemblant, nous avions bonnement pris dans les greniers de la maison de ville une vieille statue (on n’a jamais bien su ni de qui ni par qui ; sur le socle, on lisait seulement le nom demi rongé