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fait nôtre, pouce à pouce, jour par jour, et par lente conquête et par ténacité, le seul bien qui ne nous eût rien coûté que la peine de le prendre ! C’était à dégoûter de prendre jamais rien ! À quoi bon vivre, alors ? Si nous avions cédé, mais nos morts en seraient sortis de leurs tombeaux ! L’honneur de la cité nous trouva tous d’accord.

Le soir même du jour où le tambour de ville, sur un mode lugubre (il avait l’air d’accompagner un condamné aux fourches de Sembert), nous cria le fatal décret, tous les hommes d’autorité, les chefs des confréries et des corporations et les porte-bâtons, se rassemblèrent sous les piliers du Marché. J’étais là, je représentais, comme il est juste, ma patronne, Mme Joachim, la mère-grand, sainte Anne. Sur la façon d’agir, les avis différaient ; mais qu’il fallût agir, chacun en convenait. Gangnot pour saint Éloi, et pour saint Nicolas Calabre étaient partisans de la manière forte : ils voulaient que sur l’heure on mît le feu aux portes, qu’on brisât les barrières et la tête des sergents, et qu’on rasât le pré, rasibus, jusqu’au cuir. Mais pour saint Honoré boulanger Florimond, et Maclou jardinier pour saint Fiacre, hommes doux et saints doux, étaient bénins, voulaient sagement qu’on s’en tînt à la guerre de parchemin : vœux platoniques et suppliques à la duchesse (accompagnés sans doute des produits non gratuits du four et du jardin). Heureusement, nous étions trois, moi, Jean Bobin pour saint Crépin, Emond Poifou pour saint Vincent, qui n’étions pas plus disposés, pour faire la leçon