Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/269

Cette page n’a pas encore été corrigée

on n’en sortira pas. Ce beau pré, sis au pied du mont du Croc Pinçon, aux portes de la ville, et sur le bord duquel semble négligemment posé comme une serpe le Beuvron serpentant, est depuis trois cents ans disputé, tiraillé entre la grande gueule de M. de Nevers et la nôtre qui est moins grande, mais qui sait tenir ce qu’elle tient. Nulle animosité, d’une part ni de l’autre ; on rit, on est poli, on se dit : « Mon ami, mes amés, mon seigneur… » Seulement, on n’en fait qu’à sa tête, et aucun ne consent à céder un pouce du terrain. Pour dire vrai, dans nos procès, nous n’avons eu jamais raison. Tribunaux, cour de bailliage, Table de marbre du Palais, ont rendu arrêt sur arrêt, établissant que notre pré n’était pas nôtre. Comme on sait, justice est l’art, pour de l’argent, d’appeler noir ce qu’on voit blanc. Ça ne nous troublait pas beaucoup. Juger n’est rien, avoir est tout. Que la vache soit noire ou blanche, garde ta vache, mon bonhomme. Nous la gardions et nous restions dans notre pré. C’est si commode ! Pensez donc ! C’est le seul pré qui ne soit pas à l’un de nous, dans Clamecy. Étant au duc, il est à tous. Nous n’avons donc aucun scrupule à le gâter. Aussi Dieu sait si l’on s’en donne ! Tout ce qu’on ne pourrait faire chez soi, on le fait là : on y travaille, on y nettoie, on y carde les matelas, on y bat les vieux tapis, on y jette ses débarras, on y joue, on s’y promène, on y fait pâturer sa chèvre, on y danse au son des vielles, on s’y exerce au maniement de l’arquebuse et du tambour ; et la nuit, on y fait l’amour, dans l’herbe fleurie de papiers, le long