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avec la vie, quand on est petit bourgeois, d’hésiter et de tâter le drap qu’on veut acheter, cinquante fois, de marchander, et d’attendre pour le prendre que l’occasion soit passée, ou bien le drap ! L’occasion passe, j’étends le bras :

— Si nul n’en veut, eh bien, c’est moi.

Ils dirent :

— Soit !

— Seulement, qu’on m’obéisse, sans discuter, de cette nuit ! Autrement, nous sommes perdus. Jusqu’au matin, je suis seul maître. Vous me jugerez demain. Est-ce entendu ?

Ils dirent tous :

— C’est entendu.

Nous descendîmes la colline. J’allais devant. À ma gauche, marchait Gangnot. À droite, j’avais mis Bardet, crieur de ville et son tambour. À l’entrée du faubourg, sur la place des Barrières, déjà nous rencontrâmes une foule fort gaie qui, sans méchanceté, s’en allait en famille, femmes, garçons et filles, vers l’endroit où l’on pille. On eût dit une fête. Certaines ménagères avaient pris leur panier, comme au jour de marché. On s’arrêta pour voir notre troupe passer ; et les rangs s’écartaient poliment devant nous ; ils ne comprenaient pas, et nous suivant, d’instinct, emboîtèrent le pas. Un d’eux, le perruquier Perruche, qui portait une lanterne de papier, l’approchant de mon nez, me reconnut et dit :

— Ah ! Breugnon, bon garçon ! te voilà revenu ? Eh ! tu arrives à point ! On va trinquer ensemble.