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nez et de leur Attila, d’Andoche aux yeux placides qui me prenaient en pitié, et de moi, grosse bête, qui perdais ma salive à geindre, soliloquer devant des soliveaux, me traversa la tête… frroutt… comme une fusée ; si bien qu’oubliant du coup ma colère et ma peine, je ris au nez d’Andoche ahuri, et partis.

Je me retrouvai sur la route. Je disais :

— Cette fois, ils m’ont tout pris. Je suis bon à mettre en terre. Il ne me reste que ma peau… Oui, mais aussi, sangbleu, il reste ce qu’il y a dedans. Comme cet autre assiégé, répliquant à celui qui, s’il ne se rendait, le menaçait de tuer ses enfants : « Si tu veux ! J’ai ici l’instrument pour en fabriquer d’autres », j’ai le mien, ventrebleu, ils ne me l’ont pas pris, ils ne peuvent me le prendre… Le monde est une plaine aride où, çà et là, poussent les champs de blé que nous, artistes, avons semés. Les bêtes de la terre et du ciel viennent les becqueter, mâcher et piétiner. Impuissants à créer, ils ne peuvent que tuer. Rongez et détruisez, animaux, foulez aux pieds mon blé, j’en ferai pousser d’autre. Épi mûr, épi mort, que m’importe la moisson ? Dans le ventre de la terre fermentent les grains nouveaux. Je suis ce qui sera et non ce qui a été. Et lorsqu’un jour viendra où ma force s’éteindra, où je n’aurai plus mes yeux, mes narines charnues, et le goulot dessous où l’on descend le vin et où est bien pendue ma langue frétillarde, quand je n’aurai plus mes bras, l’adresse de mes mains et ma frisque vigueur, quand je serai très vieux, sans sang et sans bon sens…, ce jour-là, mon Breugnon, c’est que je ne serai plus là. Va, ne