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Je t’aimais ; reprit-elle ; et toi, tu ne m’aimais pas. C’est pourquoi tu étais bon, et moi j’étais mauvaise : car je te haïssais de ce que tu ne m’aimais ; et toi, tu t’en souciais… Tu avais ton rire, Colas, ton rire comme aujourd’hui… Dieu ! m’a-t-il fait souffrir ! Tu t’encapuchonnais dedans, contre la pluie ; et moi, je pouvais pleuvoir, jamais je ne parvenais, brigand, à t’arroser ! Ah ! que tu m’as fait de mal ! Plus d’une fois, Colas, j’ai failli en crever.

— Ma pauvre femme, lui dis-je, c’est que je n’aime point l’eau.

— Tu ris encore, coquin !… Va, tu fais bien de rire. Le rire, ça vous tient chaud. À cette heure que le froid de la terre me monte aux jambes, je sens ce que vaut ton rire ; prête-moi ton manteau. Ris tout ton soûl, mon homme ; je ne t’en veux plus ; et toi, Colas, pardonne-moi.

— Tu fus une brave femme, dis-je, probe, forte et fidèle. Tu ne fus peut-être pas plaisante tous les jours. Mais personne n’est parfait : ce serait de l’irrespect envers Celui, là-haut, qui l’est seul, m’a-t-on dit (je n’y ai pas été voir). Et, dans les heures noires (je ne dis celles de la nuit où tous les chats sont gris, mais celles des années de misères et de vaches maigres), tu n’étais plus tant laide. Tu fus brave, jamais tu ne renâclas à la peine ; et ta maussaderie me semblait presque belle, lorsque tu l’exerçais contre le mauvais sort, sans céder d’une semelle. Ne nous tourmentons plus maintenant du passé. C’est assez de l’avoir, une bonne fois, porté, sans plier, sans crier, et sans garder la marque d’une honte acceptée.