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Nous autres qui restions, nous faisions les farceurs. Nous nous gaussions de ceux qui prenaient des précautions. MM. les échevins avaient posé des gardes aux portes de la ville, sur la route d’Auxerre, avec ordre sévère de chasser tous les pauvres et manants du dehors qui essaieraient d’entrer. Pour les autres, gens à huppe et bourgeois dont la bourse était saine, ils devaient se soumettre du moins à la visite de nos trois médecins, maître Etienne Loyseau, maître Martin Frotier, et maître Philibert des Veaux, affublés pour parer aux assauts du fléau d’un long nez plein d’onguents, d’un masque et de lunettes. Cela nous faisait bien rire ; et maître Martin Frotier, qui était un bon homme, ne put tenir son sérieux. Il arracha son nez, disant qu’il ne se souciait de faire la coquecigrue et qu’il ne croyait point à ces billevesées. Oui, mais il en mourut. Il est vrai que maître Etienne Loyseau, qui croyait à son nez et couchait avec lui, mourut ni plus ni moins. Et seul en réchappa maître Philibert des Veaux, qui, plus avisé que ses confrères, abandonna non son nez, mais son poste… Çà, je brûle l’étape, et me voici déjà à la queue de l’histoire, avant d’avoir seulement arrondi mon exorde ! Recommençons, mon fils, et de nouveau prenons notre chèvre à la barbe. Cette fois, la tiens-tu ?…

Donc nous faisions les bons Richard-sans-peur. On se croyait si sûr que la peste ne nous ferait pas l’honneur de sa visite ! Elle avait le nez fin, disait-on ; le parfum de nos tanneries l’offusquait (chacun sait