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déjà, ce soir (t’en souviens-tu ? ) que tu m’as dédaignée.

— Moi ! dis-je.

— Toi, pendard, quand tu m’es venu cueillir dans mon jardin, un soir que j’étais endormie, et puis que tu m’as laissée à l’arbre, avec mépris.

Je poussai les hauts cris et je lui expliquai. Elle me dit :

— J’ai bien compris. Ne te donne pas tant de peine ! Grande bête ! Je suis sûre que si c’était à refaire…

Je dis :

— Je le referais.

— Imbécile ! fit-elle. C’est pour cela que je t’aimais. Alors, pour te punir, je me suis amusée à te faire souffrir. Mais je ne pensais pas que tu serais assez sot pour t’enfuir de l’hameçon (que les hommes sont lâches ! ) au lieu de l’avaler.

— Grand merci ! dis-je. Goujon aime l’appât, mais tient à ses boyaux.

Riant du coin de ses lèvres serrées, sans ciller :

— Quand j’ai su, reprit-elle, ta rixe avec cet autre, cet autre animal dont je ne sais plus le nom (j’étais en train de laver mon linge à la rivière, on me dit qu’il t’égorgeait), je lâchai mon battoir (eh ! vogue la galère) qui alla au fil de l’eau, et piétinant mon linge, culbutant mes commères, je courus sans sabots, courus à perdre haleine, je voulais te crier : « Breugnon ! tu n’es pas fou ? tu ne vois donc pas que je t’aime ? Tu seras bien avancé, quand tu te seras fait happer un de tes meilleurs morceaux par