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avec ses bras mouillés, moi en manches de chemise, nous dandinant tous deux ; et nous nous regardions, et nous n’avions même pas la force de nous voir. Au fond de la fontaine, le seau continuait de boire. Elle me dit :

— Entre donc, tu as bien un moment ?

— Une minute ou deux. Je suis un peu pressé.

— On ne s’en douterait guère. Qu’est-ce donc qui t’amène ?

— Moi ? Rien, fis-je avec aplomb, rien, je me promène.

— Tu es donc bien riche, dit-elle.

— Riche, non de pécune, mais de ma fantaisie.

— Tu n’as pas changé, dit-elle, tu es toujours le même fou.

— Qui fol naquit jamais ne guérit.

Nous entrâmes dans la cour. Elle referma la porte. Nous étions seuls, au milieu des poules qui caquetaient. Tous les gens de la ferme étaient allés aux champs. Pour se donner une contenance, aussi par habitude, elle crut bon d’aller fermer, ou bien ouvrir (je ne sais plus au juste), la porte de la grange, en gourmandant Médor. Et moi, afin de prendre une mine dégagée, je parlais de sa maison, des poulets, des pigeons, du coq, du chien, du chat, des canards, du cochon. J’aurais énuméré, si elle m’eût laissé, toute l’arche de Noé ! Soudain, elle dit :

— Breugnon !

J’eus le souffle coupé. Elle répéta :

— Breugnon !

Et nous nous regardions.

— Embrasse-moi,