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vrai Dieu, à nous échauffer… Te souviens-tu, Colas, des vendanges en la vigne de maître Médard Lagneau ? Belette était conviée. Nous étions côte à côte courbés dans les perchées. Nos têtes se touchaient presque, et ma main quelquefois, en dépouillant un cep, rencontrait par mégarde sa croupe ou son mollet. Alors elle relevait sa face enluminée ; comme une jeune pouliche, elle m’appliquait une ruade, ou me barbouillait le nez avec le jus d’une grappe ; et moi, je lui en écrasais une, juteuse et noire, sur sa gorge dorée que le soleil brûlait… Elle se défendait, ainsi qu’une diablesse. J’avais beau la presser, jamais je ne réussis une fois à la prendre. Chacun de nous guettait l’autre. Elle attisait le feu et me regardait brûler, en me faisant la nique :

— Tu ne m’auras pas, Colas…

Et moi, l’air innocent et tapi sur mon mur, gros chat ramassé en boule qui fait celui qui dort et, par l’étroite raie des paupières entrouvertes, épie la souris qui danse, je me pourléchais d’avance :

— Rira bien le dernier.

Or, un après-midi (c’était en ce mois-ci), tout à la fin de mai (mais il faisait alors bien plus chaud qu’aujourd’hui), l’air était accablant ; le ciel blanc vous soufflait son haleine brûlante comme la gueule d’un four ; dedans ce nid blotti, depuis presque une semaine, l’orage couvait ses œufs qui ne voulaient pas éclore. On fondait, de chaleur ; le rabot était en eau, et mon vilebrequin me collait dans la main. Je n’entendais plus Belotte, qui tout à l’heure chantait. Je la cherchai des yeux. Dans le jardin, personne…