Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/130

Cette page n’a pas encore été corrigée

planté vînt me faire descendre sur la réalité. Quelquefois, la Belette criait, impatientée :

— M’as-tu assez regardée, par-devant, par-derrière. Qu’en veux-tu voir de plus ? Tu dois pourtant me connaître !

Et moi, clignant de l’œil finement, je disais :

« Femme et melon, à peine les cognoist-on. »

Que j’en eusse volontiers découpé une tranche !… Peut-être un autre fruit eût-il aussi fait l’affaire. J’étais jeune, le sang chaud, épris des onze mille vierges ; était-ce elle que j’aimais ? Il y a des heures dans la vie où l’on serait amoureux d’une chèvre coiffée. Mais non, Breugnon, tu blasphèmes, tu n’en crois pas un mot. La première qu’on aime, c’est la vraie, c’est la bonne, c’est celle qu’on devait aimer ; les astres l’avaient fait naître, pour vous désaltérer. Et c’est probablement parce que je ne l’ai pas bue, que j’ai soif, toujours soif, et l’aurai toute ma vie.

Comme nous nous entendions ! Nous passions notre temps à nous asticoter. Nous avions tous les deux la langue bien pendue. Elle me disait des injures ; et moi, pour un boisseau, j’en rendais un setier. Tous deux, l’œil et la dent prompts à mordre le morceau. Nous en riions parfois, jusqu’à nous étrangler. Et elle, pour rire, après une méchanceté, se laissait choir à terre, assise à croupetons, comme si elle voulait couver ses raves et ses oignons.

Le soir, elle venait causer, près de mon mur. Je