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côté ce sentier enjôleur voulait nous entraîner. Que tu mens bien, Colas ! Plus ingénieux qu’Ulysse, tu te bernes toi-même. Tu le sais bien, où tu vas ! Tu le savais, sournois, dès l’instant que tu sortais de la porte d’Asnois. À une heure, par là-bas, est la ferme de Céline, notre passion d’autrefois. Nous allons la surprendre… Mais qui d’elle, ou de moi, sera le plus surpris ? Tant d’années ont passé depuis que je ne la vis ! Que sera-t-il resté de son minois malicieux et de sa fine gueulette, à ma Belette ? Je puis bien l’affronter ; à présent, n’y a plus de risques qu’elle me grignote le cœur avec ses dents pointues. Mon cœur est desséché, ainsi qu’un vieux sarment. Et a-t-elle encore des dents ? Ah ! Belette, Belotte, comme elles savaient rire et mordre, tes quenottes ! T’es-tu assez jouée de ce pauvre Breugnon ! L’as-tu assez fait tourner, virer, vire-vire, virevolter comme un toton ! Bah ! si cela t’amusait, ma fille, tu as eu raison. Que j’étais un grand veau !…

Je me revois, bouche bée, appuyé des deux bras, les coudes écartés, sur le mur mitoyen de maître Médard Lagneau, mon patron qui m’apprit le noble art de sculpter. Et de l’autre côté, dans un grand potager contigu à la cour qui servait d’atelier, parmi les plates-bandes de laitues et de fraises, de radis roses, de verts concombres et de melons dorés, allait pieds nus, bras nus, et gorge à demi nue, n’ayant pour tout bagage que ses lourds cheveux roux, une chemise en toile écrue où pointaient ses seins durs, et une courte cotte qui s’arrêtait