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grillons, le bouillonnement de l’écluse, l’odeur de bois et de goudron que le vent apportait du port, l’eau immobile qui fuyait, les beaux reflets, tout s’accordait et se fondait avec la paix de la soirée.

Le vieux partit, je rentrai seul, à petits pas, en regardant les ronds qui tournoyaient dans l’eau, et les bras derrière mon dos. Si absorbé par les images qui flottaient sur le Beuvron que j’oubliais de remarquer où j’allais, où j’étais : si bien que brusquement je tressautai, en m’entendant interpeller, de l’autre bord de la rivière, par une voix trop familière… J’étais, sans m’en être aperçu, revenu devant ma maison ! À la fenêtre, ma douce amie, ma femme me montrait le poing. Je feignis de ne la voir point, les yeux fixés sur le courant ; et cependant, me rigolant, je la voyais se démenant, gesticulant, la tête en bas, dans le miroir de la rivière. Je me taisais ; mais en mon ventre je riais, et mon ventre sous moi roulait. Plus je riais, plus, indignée, elle plongeait dans le Beuvron ; et plus elle y piquait la tête, plus je riais. Enfin, de rage elle claqua porte et fenêtre, et sortit comme un ouragan pour me chercher… Oui, mais il lui fallut passer par-dessus l’eau. À gauche ? À droite ? Entre deux ponts, nous nous trouvions… Elle choisit la passerelle à droite. Et naturellement, quand je la vis en ce chemin, moi je pris l’autre et m’en revins par le grand pont où, seul, Gadin, comme un héron, restait planté, stoïque, depuis le matin.

Je me retrouvai au logis. C’était la nuit. Comment