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de lumière. Mais les gens de chez nous ne sont pas curieux, sinon de ce que fait le voisin, et surtout la voisine. Le reste est trop loin pour y croire. Si tu veux, vas-y voir ! Ici, j’en vois autant. « Trou arrière, trou avant, ceux qui viennent de Rome valent pis que devant. » Fort bien ! Je laisse dire et ne force personne. Puisque vous m’en voulez, je garde ce que j’ai vu, sous mes paupières, au fond des yeux. Il ne faut pas vouloir rendre les gens heureux, malgré eux. Il vaut bien mieux l’être avec eux, à leur façon, puis à la sienne. Un bonheur vaut moins que deux.

C’est pourquoi, tout en dessinant, sans qu’il s’en doute, les naseaux de Delavau, et le curé qui bat des ailes en parlant, j’écoute et chante leur couplet, que je connais : « Quel orgueil, quelle joie d’être Clamecycois ! » Et pardieu, je le pense. C’est une bonne ville. Une ville qui m’a fait ne peut être mauvaise. La plante humaine y pousse à l’aise, grassement, sans piquants, point méchante, tout au plus de la langue que nous avons bien affilée. Mais pour médire un peu du prochain (qui riposte), il n’en va pas plus mal, on ne l’aime que mieux, et on ne lui ferait tort d’un seul de ses cheveux. Delavau nous rappelle (et nous en sommes fiers, tous, même le curé) la tranquille ironie de notre Nivernois au milieu des folies du reste du pays, notre échevin Ragon refusant de s’unir aux Guisards, aux ligueurs, aux hérétiques, aux catholiques, Rome ou Genève, chiens enragés ou loups-cerviers, et saint Barthélemy venant laver chez nous ses mains ensanglantées.