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LES DERNIERS QUATUORS

tout en forgeant indestructible l’unité du drame de l’esprit.

Cette unité est établie, dès les premières notes, par l’adjonction fréquente d’une Introduction, qui pose, sous forme souvent énigmatique, trouble, concentrée, comme une question, les linéaments du thème principal, de l’idée-mère, qui va faire l’objet du débat du premier morceau ; — quelquefois, elle animera sourdement l’œuvre entière, et recevra dans la conclusion sa réponse, généralement libératrice.

Il arrivera même que, dans le débat de la forme « Sonate », les thèmes opposés s’entrepénètrent et s’associent, — tandis que, d’un morceau à l’autre, au lieu des anciennes cloisons étanches, coule un même courant, du commencement à la fin : même substance. — La « forme cyclique », dont l’architecture musicale du xixe siècle fera, par la suite, un emploi puissant, mais souvent froid et fatigant, d’une logique trop intellectualiste, est fondée, d’instinct, par la passion brûlante de Beethoven, comme un grand fauve attaché à sa prise.

Une autre forme, la plus simple de toutes et la plus routinière, est miraculeusement métamorphosée par son génie, en instrument de la pensée une et profonde, qui mue sans cesse, dans un mystérieux et perpétuel « devenir ». C’est « la grande Variation » : l’op. 120 (les 33 Variations sur une valse de Diabelli) en a déjà offert un chef-d’œuvre de maîtrise, exécuté par jeu ; mais elle deviendra, dans les derniers quatuors, l’épanchement naturel d’une âme océanique.

Nulle rigueur, d’ailleurs, ne s’imposera à la construction. À l’unité d’airain du quatuor op. 132 en la mineur s’oppose la bigarrure pittoresque du libre quatuor op. 130 en si bémol, qui se rapproche de l’ancienne « Suite » à six morceaux. Chaque quatuor sera, comme Beethoven l’a dit à Holz, une haute expérience d’art différente. Mais tous auront en com-