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BEETHOVEN

et que le quatuor à cordes réalise la plus parfaite « égalité en dignité de tous les instruments récitants », — les derniers quatuors de Beethoven sont la plus haute forme de récitatif musical continu, en écriture polyphonique, où s’inscrivent tous les méandres d’une pensée une et multiple, qui prend conscience de ses courants divers et du but final vers lequel ils confluent. C’est tout ensemble analyse et synthèse de pensée, sans égales.

Elles répondaient à l’impérieux besoin du vieux homme, en ces années, de se confesser jusqu’au fond. Besoin d’intelligence qui veut en soi faire la lumière, autant que de conscience morale qui, avant de quitter la vie, tient à rendre ses comptes.

Pour cette fin, la construction formelle du quatuor, tel qu’il l’a reçu des maîtres antérieurs et puissamment marquée de sa personnalité, lui offre encore les éléments nécessaires, sans qu’il doive recourir à un bouleversement révolutionnaire : — les quatre parties du discours (allegro, adagio, scherzo, finale), où trouvent place les principales dispositions de l’esprit : l’entrée en campagne et les combats, la méditation, le libre humour, et la décision, allégée des troubles et des discussions antérieurs, — surtout la forme « Sonate » du premier morceau, qui pose avec clarté et sobriété classique, les termes du débat, et noue le nœud de la tragédie : — c’était un large champ à remplir ; on n’en avait pas jusqu’alors su aménager toutes les riches possibilités. Beethoven allait en faire lever des moissons inattendues.

En premier lieu, son âme multiple, que dominait une puissante volonté, enrichit prodigieusement la substance de pensée, dans le tissu polyphonique, où se manifeste l’indépendance accrue des quatre voix instrumentales,