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LES DERNIERS QUATUORS

— une action nerveuse, dont rien — (la rondeur moelleuse des sons des bois, leur velouté, la somptueuse étoffe et la chaleur dorée des cuivres) — rien ne vient pallier l’effet tendu, un peu fébrile, parfois anguleux et vrillant… Or, cette tension continue s’apparentait à celle même de Beethoven, que n’arrêtaient point, dans la poursuite de l’expression, les rongements aigus de certains jeux d’archets[1]. Est-ce à dire que l’interprétation doive les accuser sans pitié, pour ne s’attacher qu’à l’intellectualité ? Je ne le crois pas, car Beethoven était un trop grand artiste, pour sacrifier sciemment la beauté du son à sa signification. Son oreille saine eût réussi à marier l’une à l’autre. Aussi, j’ai préféré jadis à l’interprétation du quatuor célèbre de Joachim, intelligente, mais un peu trop indifférente à la beauté plastique, l’harmonieux équilibre du sens et de l’expression, réalisé par le quatuor Rozé de Vienne, dont la beauté du son ne faisait jamais tort à la pensée. Il n’est pas d’œuvre de Beethoven, dont l’âpreté apparente d’écriture n’implique une harmonie profonde, qu’il entendait, et qu’il faut savoir reconstruire, — bien entendu, sous condition de ne jamais atténuer, à aucun prix, l’accent. L’accent, premier, dans cette musique ; Car s’il est vrai, comme l’écrit Vincent d’Indy, que « les instruments à cordes soient essentiellement « récitants » [2], —

  1. Sa sensibilité intellectuelle était exacerbée par l’ascétisme forcé de l’ouïe, sevrée de la jouissance sensuelle des beaux sons. Je ne veux pourtant pas dire qu’il n’en ait toujours joui, dans la solitude de sa pensée créatrice. Mais c’était un bonheur, qui, comme les autres bonheurs, « ne lui revenait plus du dehors ».
  2. « Parce qu’ils sont les plus aptes de tous à l’émission des sons conjoints consécutifs, c’est-à-dire mélodiques. » (Cours de composition musicale, 2e livre, 2e partie, où se trouve défini excellemment le quatuor à cordes, — et particulièrement, celui de Beethoven).