Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
BEETHOVEN

tances où il fut écrit ajoutent à sa compréhension ! Comme s’éclaire le monologue soucieux et oppressé, qui forme l’introduction, — le premier[1] de ces monologues poignants qui formeront les porches des derniers quatuors ! Ils ne sont pas surajoutés ; ils font corps avec l’édifice ; et même quand leur sentiment contraste avec ce qui suit, ils le commandent. Ils sont comme la question posée, à laquelle l’allegro suivant répondra.

Notons l’atmosphère de mi bémol, dans laquelle s’ouvre et se ferme le quatuor. Elle est celle de toutes les grandes œuvres de cette année, — du splendide Concerto pour piano op. 73, écrit, Dieu merci ! avant la catastrophe[2], — et la Sonate des Adieux, op. 81 a. C’est la couleur de son âme, claire et fière : on se l’explique pour la période qui précédait le désastre, et où il écrivait des chants de victoire[3]. On le comprend moins, dans les longs mois de prostration fiévreuse qui ont suivi. C’est donc que s’est maintenue, dans cette nuit, par une exaltation mystique, la pure lumière de l’au-delà des troupeaux humains et de leurs combats.

  1. En fait, c’est la deuxième fois dans son œuvre qu’il fait usage d’une introduction à un quatuor, au lieu d’entrer, comme l’y porte son tempérament, « in medias res », en pleine action. — La première fois, c’était pour le quatuor en ut majeur op. 59 no 3. Mais l’introduction n’avait pas encore là sa pleine signification de grave débat avec soi-même, qui s’interroge avant de s’engager dans le drame intérieur. Elle est seulement un clair-obscur, d’où se dégage, comme d’une brume matinale, la décision du vif allegro.
  2. Le triomphal premier morceau, du moins, était achevé. Le séraphique adagio était seulement en esquisses. Il flottait dans la pensée de Beethoven, pendant les tragiques journées de l’invasion.
  3. « Auf die Schlacht Jubelgesang ! — Angriff — Sieg » Esquisses de mars-avril 1809. (Cf. Zw. Beethoveniana, p. 262). — La page d’après, c’est la catastrophe : l’esquisse des Adieux de la Sonate !