Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
BEETHOVEN

génie, pour se créer une compagnie, sans quoi il risquerait de crever d’ennui, dans sa solitude emmurée ! — Ainsi, dit-on, se sauva Wagner, qui, pour s’injecter l’héroïsme nécessaire à entreprendre son défi au siècle, Tristan, imagina qu’il l’écrivait pour un public Sud-Américain, — là-bas, très loin… au bout des siècles !…

Les trois quatuors Rasoumovskv op. 59 sont la porte secrète, qui mène au cœur du Labyrinthe de Beethoven, dans le plein été de sa vigueur. Bien peu se risquent jusqu’au fond. Mais beaucoup, du moins, aujourd’hui, aiment à s’y perdre, ou s’arrêtent en route, pour écouter, même sans comprendre, le chant merveilleux des oiseaux.



Il. n’en était pas ainsi, au temps où ils parurent. Peu d’œuvres de Beethoven lui rapportèrent tant de déboires. On les disait de mauvaises farces d’un toqué (« ein Flickwerk eines Wahnsinnigen…, eine verrückte Musik… »). Il était assez fort et plein de gloire, pour se passer de l’opinion[1]. Mais il ne revint plus qu’exceptionnellement à ce genre, où il s’était affirmé sa maîtrise. Il attendit, plusieurs années, que l’assaut des événements, dans deux occasions différentes, le contraignît à y chercher retraite, pour confier ses peines et s’entretenir avec soi-même. Ce sont de tragiques

  1. Il écrivait, immédiatement après, son divin Concerto pour violon, — qui n’était pas mieux goûté.