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LES DERNIERS QUATUORS

thèmes populaires[1], galvanisés par une virtuosité étincelante, et de la rythmique déchaînée des scherzos, où danse parfois le Puck du Songe d’une nuit d’été (op. 59, no 1), la pensée se concentre en des extases mystiques, comme la sublime contemplation de la nuit étoilée (molto adagio de l’op. 59, no 2), dont les plus hautes méditations des derniers quatuors n’ont pas dépassé l’intensité, pas égalé la perfection de lignes et la beauté. — Faut-il aussi rappeler la grandeur funèbre de l’héroïsme à la Shakespeare ou à la Plutarque, dont est empreint l’adagio molto e mesto de l’op. 59, no 1, et l’angélique berceuse, au coloris romantique, de l’andante con moto quasi allegretto de l’op. 59 no 3, qui est l’annonciatrice de la Sainte-Famille de Berlioz !

Que de richesses jetées à pleines mains ! Y ont puisé les génies les plus originaux du siècle qui a suivi.

Mais je voudrais aussi attirer l’attention sur ce que j’ai indiqué, d’un mot, à la fin de mon volume : De l’Eroica à l’Appassionata, — sur le tournant d’âme qui se décèle dans ces quatuors, — et dès le premier, dans le premier allegro. — Je me souviens du choc que la révélation me produisit, à l’audition dans un Musikfest Beethovenien, à Mayence, — ces concerts mêmes, sous l’émotion desquels a jailli ma petite Vie de Beethoven. Je fus saisi, dans ce quatuor, par la soudaine apparition d’ombres inquiétantes de l’esprit, de démons étranges de l’humour sombre et bouffon, de cette faune trouble et fascinante du subconscient, qui a tenu dès

  1. Les deux thèmes russes, de l’allegro finale de l’op. 59 no 1, et du trio de l’allegretto (scherzo) de l’op. 59 no 2, — si bien choisis que, pour son thème du couronnement de Boris Godounov, Moussorgsky a repris l’un des deux.