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LES DERNIERS QUATUORS

dignité » de ses quatre parties mélodiques, dont le concert est un débat entre les voix diverses d’une même âme, entre les hommes différents que chaque homme porte en soi. Bien mieux que l’orchestre, dont Beethoven emploie aussi, dans cette période, avec bonheur, la magnifique polychromie, le quatuor à cordes maintient, affirme, par son unité sonore, cependant différenciée, l’unité de l’âme multiple. Il se prêtera merveilleusement à l’analyse de ses désirs, de ses poussées contradictoires, de ses discussions avec soi-même, de ses lents et troubles processus, de ses combats. Non pas que le jeune Beethoven soit encore en mesure de procéder à cette enquête passionnée : il va être pris, entre 1800 et 1812, par le tourbillon des grands discours sur le Forum, les triomphales Symphonies. Mais il s’est, dès lors, rendu compte du confident sûr, à qui il pourra maintenant livrer le secret de ses confessions, — concurremment, pendant assez longtemps, avec son vieux interprète, son coursier de gloire, son clavier. Mais celui-ci l’oblige à des jeux de virtuosité, où, pour l’instant, il trouve encore un attrait, même un éperon pour son génie ; et, à la longue, il s’en lassera, à mesure que sa surdité l’obligera à s’éloigner du champ de joutes, de la salle de concerts, pour se renfermer dans le champ clos de son âme-univers. Jusqu’au moment où, après ses dernières sonates, il refusera de leur donner une suite, trouvant le piano insuffisant[1].

Pour en revenir à ses premiers quatuors, peu d’œuvres lui ont coûté tant de travaux d’approches et de patiente préparation. La rédaction que nous connaissons est bien

  1. « Es ist und bleibt ein ungenügendes Instrument » (Entretiens avec Karl Holz).

    Voir, dans la suite de ce volume, le chapitre sur le dernier quatuor en fa majeur, op. 135.