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LES DERNIERS QUATUORS

niquer par là directement avec le public. Il lui faut trouver d’autres moyens, d’autres interprètes, dont il soit sûr. Et, de volonté comme d’instinct, il s’oriente vers le concert des instruments à cordes, dont la relative monochromie n’a pas besoin d’une oreille habile à varier et disposer le coloris, mais est parfaite pour le tracé des lignes les plus souples du dessin. Il s’achemine au quatuor par la dernière étape des trois Trios à cordes, op. 9, qui contiennent d’immortelles méditations, comme l’adagio du trio en ut mineur no 3 : l’écriture en est déjà sûre et libre. (Helm la trouve même supérieure, de certains points de vue, à celle des premiers quatuors).

Mais cette forme ne lui suffisait pas ; et il n’y est plus revenu, par la suite[1]. La quatrième voix lui manquait, pour constituer l’équilibre ; et plus d’une fois, on sent ce manque dans les trios. Il lui fallait le second violon, beaucoup moins pour doubler le premier que pour compléter l’analyse de sa pensée, et surtout pour étoffer, avec l’alto, le torse du corps harmonieux.

Il est, dans des notes de Louis Drouet, un jugement attribué à Haydn sur le jeune Beethoven, dont je ferai état, pour son intelligente lucidité, — bien que Drouet n’ait pu connaître Beethoven qu’à une époque beaucoup plus tardive[2] ; mais son témoignage n’est pas contesté par les critiques les plus méfiants, comme Thayer, et il offre tous les caractères de l’authenticité.

  1. Vincent d’Indy a très bien montré, dans son Cours de composition musicale, 2e livre, 2e partie, la distinction capitale entre « l’écriture en trio » et le quatuor à cordes seules.
  2. Louis Drouet, le plus célèbre flûtiste de son temps, était né à Amsterdam en 1793, et il vint à Vienne en 1822 : il est question de lui dans les Cahiers de Conversations de Beethoven. Ses Lettres parurent en 1858.