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BEETHOVEN

n. 3 (1798), et la Pathétique, op. 13 (1799), qui bouleversa la jeunesse musicale de l’Allemagne. — 1798 à 1800 sont les années de sa plus haute maîtrise pianistique, de ses tournois avec les plus célèbres virtuoses de l’époque. Il est « der Riese unter den Klavierspielern » (un géant parmi les joueurs de clavier), « der Herr des Klavierspieles » (le maître ou le roi du piano[1]).

Mais la maladie est là, déjà, qui le guette : les prodromes cruels de la surdité[2]. Par la méfiance et l’emmurement bruissant, il sent, de jour en jour, quoiqu’il le cache, s’éloigner de lui le reste des vivants. Il devient seul, parmi l’indifférence égoïste[3].

Sur son clavier il ne peut plus compter. Au moment même où, par un travail acharné, il s’est mis en pleine possession de sa prodigieuse virtuosité, il doit prévoir qu’à brève échéance, il ne pourra plus s’entendre jouer, ni commu-

  1. D’après Tomaschek, qui n’est pourtant pas suspect de partialité pour Beethoven, dont il aime peu le génie. Et ces appréciations datent de 1798. Trois années après, Beethoven écrit qu’il a encore « vervollkommnet » (perfectionné) son jeu. — Tous sont d’accord — même ceux qui le critiquent — sur la puissance, le feu, l’éclat, le torrent de son originalité, surtout dans la libre improvisation.
  2. « Depuis six ans, un état sans remède » (Testament d’octobie 1802).

    « Depuis trois ans, mon ouïe devenue toujours plus faible… » (Lettre à Wegeler, du 29 juin 1801).

    « Sache que la plus noble partie de moi-même, mon ouïe, a beaucoup baissé. Déjà, au temps où tu étais encore près de moi, j’en éprouvais les symptômes et je le taisais ; maintenant, c’est devenu toujours plus aigu. Que cela puisse jamais revenir, il y a peu d’espoir : de telles maladies sont les plus incurables… » (Lettre du 1er juin 1801 à Amenda, qui avait quitté Beethoven, dès l’automne 1799).

  3. « Combien triste doit être maintenant ma vie, évitant tout ce qui m’est doux et cher, et cela, parmi les hommes, si misérables et égoïstes ! (Même lettre de 1801).