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LES DERNIERS QUATUORS

des fresques de Michel-Ange. Si cous voulez les rendre dans mon sens, trempez vos pinceaux dans des couleurs épaisses (dicke Farben), apprenez d’abord à produire sur vos instruments un son puissant et sain (einen gesunden kräftigen Ton erzeugen) ; sans cette première condition, vous n’évoquerez pas des profondeurs de mes poèmes les esprits des mondes inconnus… » Là gît un des secrets pour pénétrer le génie de Beethoven. Et Beethoven le rappelait souvent. D’où la nécessité d’un certain degré, non insignifiant, de force physique (ein bedeutender Grad physischer Kraft erforderlich) : si on ne l’a pas, qu’on reste chez soi ![1] »

Tel était cet art d’orchestre de chambre, d’où tout maniérisme, toute virtuosité inutile étaient exclus ; il s’adressait aux saines et viriles énergies de l’âme, et rallia autour de lui, en ces années 1823-1824, tout ce que Vienne comptait de musiciens attachés religieusement au sens profond de la langue des sons. L’effet produit fut inexprimable. Dans les Cahiers de Conversations, on lit, de la main du jeune neveu de Beethoven, au sortir d’un de ces concerts (25 janvier 1824) : — « Ce serait en vain qu’on essaierait de peindre l’impression qui se manifestait chez tous… La salle était archi-pleine. Les gens devaient se tenir debout devant la porte… L’exécution était magnifique. Ils ne jouaient pas, ils chantaient avec leurs instru-

  1. On remarquera l’insistance de Schindler sur l’énergie virile de l’execution. Elle s accordait sans doute avec le style de Schuppanzigh, dont les mains épaisses étaient peu faites pour la virtuosité. Il avait surtout l’art du beau son profond et calme sur le violon. — Mais ce n était pas à dire que les quatuors de Beethoven ne réclamassent un jeu plus fin et plus nuancé. Et l’on voit précisément Schuppanzigh échouer dans l’exécution du quatuor op. 127 ; et le jeune violoniste hongrois, Böhm, lui fut préféré par Beethoven.