Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
BEETHOVEN

Elle le conjurait de réserver à Vienne l’honneur des premières auditions de ses nouvelles œuvres. Le résultat en avait été ces Académies de mai 1827, dont l’échec retentit dans toute l’Europe[1].

Beethoven était rempli d’amertume. Pas d’entretiens, où il ne criblât les Viennois de ses sarcasmes ! Dans une conversation de septembre 1824, avec Johann Andréas Stumpff, — aux jours mêmes où il écrivait son grand quatuor Galitzin, il disait, sans ses emportements d’antan, mais avec un dédain écrasant : — « On n’a plus ici le sens du bon, du fort, de la vraie musique ! Oui, oui, c’est comme ça, Viennois ! Rossini et Cie, voilà vos héros ! Vous ne voulez plus rien de moi ! De temps en temps Schuppanzigh sort un de mes quatuors ; ils n’ont plus de temps pour mes symphonies, et ils ne veulent plus du Fidelio. Rossini über ailes ! Peut-être vos pianotages (Geklimper) et vos chants sans âme, vos camelotes, avec quoi vous ruinez l’art véritable, — c’est là votre goût, ô Viennois !… »

« Schuppanzigh donne mes quatuors[2] » — C’était la seule fenêtre qui restât ouverte, pour l’art vrai. Si tout autre moyen de se faire entendre lui était refusé, qu’il se retirât

  1. Le prince Galitzin en parle, dans sa lettre du 28 juillet 1824 :

    — « Que n’aurais-je donné pour être à Vienne !… L’ingratitude de cette capitale pour vous me révolte, et je pense que vous vous seriez mieux trouvé, si vous n’y aviez fixé votre séjour… Si vous vouliez voyager en Europe, vous feriez courir l’univers au-devant de vous. Votre seule présence à Paris, Londres, ferait oublier tout le reste, et les Académies que vous y donneriez ne ressembleraient pas à celles de Vienne. Vous avez des enthousiastes partout… Le génie est révéré partout, et partout vous trouveriez des amis, des admirateurs… Ne m’en voulez pas, pour le vœu que je fais de vous voir sortir de Vienne, je désirerais que tout le monde pût vous apprécier et admirer comme moi… »

  2. Il s’agissait naturellement des anciens quatuors.