Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
LES DERNIERS QUATUORS

ment balancée. Il n’est rien en elle, à sa première exposition, qui ne soit paix et consentement. À sa répétition, se trahit déjà quelque douleur contenue (mes. 5-10 : le la naturel du deuxième violon, le ré naturel du violoncelle et de l’alto). Ainsi que dans la Cavatina de l’op. 130, les périodes mélodiques s’enchaînent par l’interpénétration des parties en échos, et le chant ne s’interrompt jamais. Faut-il y découper, comme s’y acharne H. Riemann (et ses disciples dociles, à sa suite), quatre Variations ? Vincent d’Indy ne l’a pas pensé ; et je ne crois pas qu’il soit utile d’y insister. La Variation n’a pas ici, dans l’esprit de Beethoven, le sens d’une forme technique de développement. L’idée mélodique, qui remplit, du commencement à la fin, le morceau, est un état naturel de l’esprit, qui remâche, ainsi qu’une herbe âcre et douce, sa religieuse mélancolie. Et comme jamais une émotion ne se prolonge sans se modifier, la mélodie subit, à chaque retour, des altérations, qui en accusent, d’abord avec plus d’intensité, la peine voilée (mes. 13-22), où la plainte monte, d’un étage, au premier violon ; et le motif s’accentue de sf. et d’âpretés harmoniques. Une brusque mutation de modalité (le ré bémol du premier violon changé en ut dièze, le fa naturel de l’alto, par un fléchissement en fa bémol, passant au mi) ouvre un épisode en ut dièze mineur, où l’âme livre son oppression, comme à regret, en s’efforçant de l’étouffer (mes. 23-32). Rien de cet abandon à la douleur désordonnée, qui marque l’adagio avec récitatifs de la sonate op. 110, ni de ces déclamations pathétiques qu’on trouve même encore dans le quatuor en ut dièze mineur. La souffrance ici parle bas, et on dirait qu’elle appuie les mains sur les palpitations de son cœur ; à un seul moment (mes. 29), un bref soubresaut lui échappe, aussitôt refoulé. Tout l’épisode, d’ailleurs, est